Ça fait longtemps que je dois partager ici une réflexion que je me suis faite concernant notre expérience de woofing au Népal de décembre dernier, et plus généralement sur le tourisme et ses dérives.
Il me semble qu’il s’agit là du rôle des blogs : parler avec sincérité de ce que l’on vit, mais aussi de ce que l’on regrette. Parce que le temps nous fait évoluer et apprendre, et que parfois une expérience change de couleur avec le recul. C’est le cas de celle-ci, et elle aborde d’ailleurs un aspect très important du tourisme du XXIe siècle. Voilà pourquoi j’ai décidé de revenir sur cette étape de notre voyage.
SOMMAIRE D’ARTICLE
Le contexte
En décembre dernier, Max et moi étions au Népal. Il nous restait un mois à passer dans le pays avant de rejoindre mes frères en Birmanie. On revenait d’un long trek dans l’Himalaya et on ne voulait pas courir pour visiter un nouveau pays. On a donc décidé de rester à Katmandou. Vu qu’on avait du temps, on s’est dit qu’on voulait s’essayer au woofing (logement chez l’habitant contre quelques heures de travail par jour). Ça nous permettait de réduire nos coûts, de découvrir une nouvelle facette du pays et de se rendre utile pendant notre temps libre. C’était plutôt logique.
Première expérience… râtée
Notre première recherche de Woofing se passe assez mal. Il s’agit d’un directeur d’école primaire Népalaise qui demande de l’aide pour de la construction et différentes tâches manuelles. On se dit alors que ça peut être dans nos cordes. Mais en quelques heures, on comprend vite qu’il n’a en fait aucune mission pour nous. Aucune… sauf une, en fait. Récolter de l’argent.
Sur le coup, on ne comprend pas. On ne voit pas comment on peut, nous, récolter de l’argent dans un pays qu’on ne connait pas. On cherche des idées, on lui donne des pistes, on fait des propositions. Mais rien ne lui va. Avec le recul, je sais maintenant qu’il voulait que l’on récolte de l’argent via notre famille et nos proches. Vous me voyez, en voyage depuis un an, aller demander de l’argent à mes contacts Facebook ?…
Et puis il ne nous propose pas de logement, à l’exception d’une banquette rouillée dans le CDI de l’école. Aucun repas prévu. Aucune mission. On est très loin du concept du woofing. Alors le jour même, Max et moi décidons de partir.
L’article écrit à l’époque sur le sujet est disponible ici : Pokhara, le repos des trekkeurs et la recherche de workaway.
Nous répondons alors à une deuxième offre, sur Katmandou cette fois. On est acceptés et on s’y rend le lendemain. C’est comme ça que l’on a passé deux semaines chez les Children of the Universe, un orphelinat Népalo-tibétain de la capitale.
Qu’est-ce que le volontourisme ?
Mais avant de continuer notre histoire, je veux d’abord faire un point sur le volontourisme et sa définition.
Le volontourisme est un terme inventé pour parler de tourisme couplé avec du bénévolat. On ne part plus seulement en vacances, on part aider les plus démunis. Ça donne un sens à notre voyage, un aspect chevaleresque et généreux.
Énormément d’associations ont donc vu le jour pour proposer des séjours sur le thème de l’entraide. L’Afrique en est le berceau, mais l’Asie n’est pas en reste (Inde, Népal, Cambodge, etc.). Les étudiants sont particulièrement friands de ces formules, qui rentrent dans le cadre des stages et bénévolats obligatoires à la validation de nombreux diplômes. Certains déchantent d’ailleurs sur place, comme cet étudiant en ingénierie qui témoigne pour le site Mr Mondialisation.
Pour 2000 euros sans billet d’avion, vous aurez le droit de poser quelques briques d’une hypothétique future école ou d’aller apprendre deux mots d’anglais à des enfants du tiers-monde (et surtout, n’oubliez pas de les faire jouer avec votre iPhone à 700 euros, écrit cyniquement le site Bridgeo).
Vous commencez à voir le soucis ?… Et bien ce n’est que le début.
Les critiques du volontourisme en cinq points
Cette pratique est énormément décriée par les associations humanitaires. Il faut dire que l’on a beaucoup de choses à lui reprocher.
1. C’est inutile
Si vous avez envie d’aider, sachez que vôtre venue ne changera rien. Les quelques heures passées avec les enfants ne vont certainement pas les aider à apprendre une langue, et les différentes tâches manuelles que l’on vous confiera vont vous demander un temps d’adaptation que vous ne dépasserez qu’à peine.
2. C’est prétentieux
Dans ce genre d’association, on ne demande absolument aucune qualification aux participants. Comme si le fait d’être blanc suffisait à garantir une quelconque connaissance en pédagogie, en langue étrangère, en construction. Cela revient à dire que, seulement parce que nous sommes occidentaux, nous avons plus à apporter à un pays que ses habitants qui le connaissent et qui y vivent sur le long terme. On est toujours dans la logique de la suprématie de l’homme blanc.
3. C’est du gâchis de budget
C’est bien beau de traverser les continent, mais les 1000 euros de billets d’avion que vous allez payer pourraient réellement aider les associations qui agissent sur du long terme dans ces pays là.
4. C’est une course à l’ego et au voyeurisme
Oui, mais si on est d’accord pour payer 1000 euros de billets d’avion (et pas de les envoyer à une association) c’est parce qu’on va prendre de jolies photos et raconter à quel point cette expérience a été enrichissante et nous a marqué de part ses rencontres magiques qui nous ont ouvert les yeux sur le monde… C’est en tout cas ce que vous raconterez entre deux séances shopping à vos amis ou sous votre photo de profil Facebook prise avec les enfants rencontrés là-bas. Vous aurez l’impression d’être à l’aise dans vos baskets, parce que même si vous êtes nés dans un pays riche, vous avez aidé, vous. Et même si la réalité est toute autre, vous vous arrêterez là.
5. Ça créé un business de la pauvreté
Mais le plus grave, c’est certainement l’impact que ces pratiques ont sur les zones concernées.
Les chiffres indiquent que ce genre de « fausses ONG » (qui en copient tous les codes) touchent 30 à 40% du montant payé par les participants. Forcément, il s’agit là d’entreprises très juteuses qui vont attirer de nouveaux créateurs, accentuant le phénomène. Au delà du fait que des gens malhonnêtes exploitent la misère pour se faire de l’argent, ils vont surtout avoir besoin de nouveaux « pauvres » à aider. Et dans les cas les plus graves, cela mène à des réseaux d’enlèvements d’enfants qui remplissent les faux orphelinats.
Notre woofing au Népal
Retour à notre histoire. Nous voilà donc dans l’orphelinat de Katmandou, où l’on rencontre le propriétaire et les enfants. Ils sont une quarantaine ici. Certains ont perdus leur parents, d’autres ont été envoyés ici car leur père ou leur mère sont alcooliques, violents, ou incapables de s’en occuper pour une raison ou une autre.
L’ambiance est plutôt agréable. Les enfants sont adorables, ils ont envie de jouer et de nous poser pleins de questions, on apprend à se connaitre peu à peu.
On travaille plusieurs heures par jours, à des tâches diverses. La plupart du temps, on nettoie les salles de bain, on aide aux repas et on bricole dans l’orphelinat. On est donc clairement dans la fonction même du woofing. Pourtant, de nombreux aspects me dérangent dans notre expérience. Si bien qu’au bout de deux semaines, je quitte Katmandou avec un grand soulagement.
J’ai raconté plus en détail notre expérience à l’époque dans un article dédié : Deux semaines de workaway dans un orphelinat Népalais.
Ce que je regrette
De fait, nous n’étions pas vraiment dans un système de volontourisme comme je l’ai décris plus haut. Déjà parce que nous ne versions pas d’argent (ce qui fait quand même toute la différence), mais aussi parce que nous ne venions pas pour ça.
Pourtant je réalise maintenant que la limite était floue, et que l’on s’est retrouvés dans une situation que je pense être mauvaise pour le fonctionnement du pays. Voici pourquoi :
1. Le Népal est ravagé par les dérives de l’humanitaire
Pendant notre trek dans l’himalaya, on avait rencontré un couple de jeune franco-australiens qui avaient passé deux mois dans une association Népalaise. Ils avaient payé plusieurs milliers d’euros et avaient été, selon leurs dires, complètement inutiles. Ils posaient des briques qui étaient ensuite retirées pour être remontées par d’autres volontaires. Ils ne mangeait que du riz blanc froid et se demandaient bien où était passé leur argent (moi, j’ai une idée…).
Mais c’est loin d’être un cas isolé. Le Népal croule sous le volontourisme. Les orphelinats en sont d’ailleurs la première source. Plus de 11 000 enfants vivaient dans des foyers en 2014 (chiffre qui a certainement bien augmenté depuis les tremblements de terre de 2015). Et on estimait alors que 2/3 d’entre eux étaient de faux orphelins retirés à leurs parents (source : Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères).
Bref, la situation au Népal est très compliquée. Si je l’avais su avant, jamais je n’aurai accepté un woofing à Katmandou.
2. Nous avons été en contact avec les enfants, sans aucune vérification ou accréditation
Evidemment, je sais que Max et moi ne sommes pas des dangers pour les enfants. Mais le fait que nous avons pu passer deux semaines avec eux prouve que n’importe qui peut intégrer ces associations. Comment être sûrs que les enfants ne sont pas parfois dans des situations à risque (adulte violent, abusif, etc.) ? Sans parler du fait qu’ils voient valser de nouvelles têtes toutes les deux semaines…
3. Nous n’avions pas les compétences pour aider
Pour ce qui est des tâches quotidiennes (ménage, peinture, épluchage de légumes…), ça allait. Mais en ce qui concerne les moments d’aide aux devoirs, je ne me suis jamais sentie aussi perdue.
Etre enseignant ça ne s’improvise pas. Ce n’est pas parce que l’on parle une langue que l’on est capable de la transmettre. Pareil pour les maths ou les sciences. On a galéré plus d’une fois à expliquer une règle, d’autant que les méthodes pédagogiques ne sont pas les mêmes partout. Et je ne parle même pas des étrangers qui parlent anglais avec les enfants alors qu’eux même ne maîtrise quasiment pas la langue…
On n’était simplement pas qualifiés pour cela.
4. On n’était pas vraiment là pour ça
Alors certes, on donnait des coups de main que je pense être vraiment utiles. Mais avait-on vraiment besoin de nous pour ça ? Les deux frères du directeur vivaient à temps plein ici, tout comme les deux cuisiniers. Justifiions-nous vraiment nos frais de bouche ?
La réalité (qu’il nous a bien fallu admettre), c’est que nous n’étions là que pour promouvoir l’orphelinat et récolter de l’argent. Soit en donnant directement (on nous a bien fait comprendre que c’est ce qu’on attendait de nous), soit en faisant appel à nos familles et amis.
5. On a donné une mauvaise image de la situation
Le directeur n’a pas vraiment parlé d’argent, contrairement à son frère. Il comptait plus sur le bouche-à-oreille auprès de nos amis. Il a tellement insisté que j’ai fini par faire un post Facebook demandant à mes contacts d’envoyer leur surplus de jouets et de vêtements après les fêtes de noël. Je ne mentais pas dans mes intentions, je pense sincèrement que les gamins occidentaux croulent sous les affaires et qu’en envoyer peut vraiment aider d’autres enfants.
Le problème, c’est qu’en postant ceci j’ai participé à l’image « altruiste » du bénévolat qui s’affiche sur Facebook. Or, c’est me donner un joli rôle dans une situation qui ne l’est pas vraiment. Et ça je le regrette beaucoup.
Si j’ai posté ce texte, c’est parce qu’on me la beaucoup demandé, évidemment. A demi mot, ou parfois clairement, on nous a dit de faire jouer nos contacts pour recevoir des dons. Mais si je trouve tout à fait noble d’envoyer des vêtements, des livres et des jouets aux enfants, jamais je n’aurais demandé de l’argent.
6. On ne peut pas savoir à coup sûr où on se trouve
Parce que l’on ne PEUT PAS savoir à quoi sert l’argent des dons. Attention, je ne dis pas que Children of The Universe est une mauvaise organisation, loin de là. Les enfants ont un toit, à manger autant qu’ils le veulent, des jouets, ils vont tous à l’école privée (on les a même accompagnés)… Ils ont ce dont ils ont besoin. Pour autant, pouvons-nous être surs d’approuver à 100% les dépenses de l’association ? La grosse soirée organisée pour les 10 ans du fils du directeur ? Son Iphone 7 ? Les bouteilles d’alcool du frère ? Ou même sa gestion ? Les inégalités admises, les vols, les mensonges ?
C’est là où je veux en venir. Il ne faut pas croire que tout est rose parce que ça nous donne bonne conscience. Ce n’est pas en passant deux semaines sur place que l’on peut se faire une idée de la situation. Du coup, on prend le risque de participer à quelque chose que l’on ne cautionnerait pas en temps normal.
7. On est impuissants et ignorants
On a été témoins de vols et de mauvais comportements quand on était sur place. On a été confrontés à des dilemmes moraux, à des choix qui auraient pu avoir des conséquences lourdes que l’on ne maîtrisaient pas.
Une fois partis, ça ne s’arrange pas. Par exemple, je continue de recevoir des messages d’une des ados de l’orphelinat avec laquelle je m’entendais très bien. Elle se plaint fréquemment du comportement du manager de l’établissement. Quand j’essaie d’en savoir plus, elle ne me répond pas, ou très vaguement. Je ne peux pas savoir si elle a des soucis graves ou si elle se plaint simplement de l’autorité générale. Et dans tous les cas, je suis impuissante. J’ai l’impression d’avoir fait une apparition dans sa vie et d’être passée à autre chose en la laissant sur place.
Ce n’est pas aux étrangers de passage de gérer ces situations. Au lieu de se valoriser dans des expériences aussi courtes qu’inutiles, il faut accorder du budget et des moyens aux organismes officiels chargés du bon déroulement des instituts.
Quelles solutions ?
Oui mais alors du coup, il vaut mieux ne rien faire du tout ? C’est pas un peu facile ? Et bien… oui et non. Je pense qu’il y a différentes façons de voir les choses, selon les objectifs.
1. Le bénévolat est au cœur de votre projet
Si le bénévolat est ce qui vous motive et vous touche, ça ne devrait pas être très dur de mettre votre ego de côté. Regardez la somme que vous étiez prêts à mettre dans ce projet et trouvez une association fiable et transparente qui pourra utiliser cet argent à bon escient. Vous n’aurez pas de photo de profil ou d’anecdotes à raconter, certes. Mais vous aurez probablement réellement aidé quelqu’un.
Si vous souhaitez quand même partir à l’étranger faire du bénévolat, c’est évidemment possible et ça peut être une très bonne chose. Mais ça nécessite de s’y préparer. Le site de l’association « Child Save Movement » liste les 7 conseils à garder en tête si on veut faire du volontariat, tel que s’inscrire dans ses domaines de compétences ou se renseigner en profondeur sur l’association choisie.
2. Vous souhaitez partir en voyage et le bénévolat n’est qu’un prétexte
Je pense qu’il vaut mieux l’assumer complètement. C’était notre cas. Nous, on voulait découvrir un pays, trouver un moyen de voyager pas cher en favorisant les rencontres. Le principe du Woofing, donc. On ne s’est jamais justifiés en arguant un quelconque but humanitaire.
Dans ce cas, on n’est pas dans une posture de don, mais dans un échange (travail contre logement). La démarche est complètement différente et saine.
Je reste persuadée que l’on peut bien plus aider un pays en consommant quotidiennement local, en sortant des zones touristiques classique et en favorisant d’autres circuits qu’en faisant du bénévolat. De plus, on n’est plus dans la posture du « blanc qui donne de l’argent », mais dans celle du consommateur qui répond à ses besoins.
L’association « Child Save Movement » nous donne également 7 conseils pour voyager responsable et ne pas nuire aux enfants. C’est déjà un bon début, qui n’empêche pas de se tourner vers la situation 1. par la suite.
Voilà pour ce (long) article qui me tenait à cœur depuis un moment. Il est difficile (voire impossible) de connaître son impact dans le pays dans lequel on voyage. Mais il est très important d’y réfléchir un maximum pour agir au mieux.
A lire/à voir sur le sujet :
– « Avec les meilleures intentions du monde » (Envoyé spécial)
– « Volontourisme : dans les coulisses d’un juteux business » (Mr Mondialisation)
– « Le tourisme de la misère » (Bridgeo)
– « Pourquoi le volontourisme est un fléau pour l’Afrique » (Slate)
Bien d’accord avec ce que tu écris. En Afrique les fausses associations sont pléthoriques et toutes malhonnêtes. Mon boss m’a demandé cet été de lui trouver une ong pour le fils d’un de ses potes qui souhaitait faire du bénévolat en Afrique et toutes demandaient de l’argent aux bénévoles. En fait, elles offrent juste des vacances à des fils de riches qui veulent se raconter à eux mêmes qu’ils sont des gars biens. En fait, maintenant je ne recrute même plus les jeunes d’école de commerce qui disent avoir fait de l’humanitaire et qui en realité ont dépensé avec leur groupe 30 ke dans un voyage pour construire une classe alors qu’en fait l’argent des billets d’avion auraient pu construire plusieurs écoles.
Très intéressant ton article. J’avais lu quelque chose qui parlait de ça et plus particulièrement du fameux selfie avec des petits orphelins, LA photo à mettre absolument sur son Facebook et son insta qui symbolise tous ces problèmes de volontariat à l’étranger. Une petite remarque sur le wwoofing : WWOOF veut dire World-Wide Opportunities on Organic Farms. En fait l’idée c’est de séjourner dans une ferme bio pour apprendre en pratiquant les méthodes utilisées dans la ferme en question. Différent de workaway et helpx !